Ce qui est arrivé à Azad Abdallah, célèbre sous le surnom de Tchitcha, âgé de 28 ans selon ses documents d’identité, est l’exemple tragique d’une série de manquements médicaux qui ont transformé une blessure traitable en un handicap irréversible. Ce témoignage vise à faire la lumière sur les faits, pour que justice soit rendue, mais aussi pour que cela ne se reproduise plus. Voici son histoire.
Azad est pris en charge à l’hôpital El-Maarouf depuis son accident de la route survenu le vendredi 12 septembre sur la RN2 à Niouamadzaha Bambao. L’humérus et le péroné gauches sont fracturés. L’opération dure toute la nuit, après son admission à l’hôpital vers 22h. Le mercredi suivant, une odeur infecte envahit la chambre dans laquelle il est hospitalisé depuis dimanche, au service chirurgie B. C’est la chair de sa jambe qui est en train de se décomposer, de pourrir, dans une pièce sans système de ventilation, encore moins de climatisation. L’air devient irrespirable, sauf peut-être pour cette nuée de mouches qui envahissent la chambre jusque sur la terrasse.
Le médecin traitant reconnaît que la plaie, très béante, n’avait pas été correctement nettoyée pendant l’opération. Du sable est resté à l’intérieur. Et ce n’est qu’à ce moment-là, lors de sa toute première visite depuis l’opération, qu’il découvre l’étendue des dégâts. Sur un ton empli de railleries, il lance alors : « Pourquoi vos proches ne vous envoient-ils pas à Mayotte pour vous faire soigner ? ». Cette question, lourde de sens, traduit implicitement une reconnaissance d’absence de prise en charge adéquate à El-Maarouf.
Ayant compris que ses jours sont comptés dans cet hôpital dit de « référence », nous nous démenons pour organiser son évacuation à l’étranger sans tarder. Les propositions de destination sont nombreuses. Tout le village de Nioumadzaha reste mobilisé comme un seul homme. Les soutiens financiers continuent d’arriver de Paris, de Marseille et des associations locales. L’urgence, et le bon sens, nous conduisent à décider de l’envoyer à Dar es Salam. Le fameux certificat médical est enfin obtenu vers 13h22. Les démarches administratives auprès d’Air Tanzanie débutent aussitôt, en parallèle avec la production des passeports du malade et de ses deux accompagnateurs, dont une infirmière.
Jeudi, jour du voyage. Une ambulance du Service de Santé Militaire le transporte à l’aéroport de Hahaya. Il est midi. Allongé sur sa civière, le malade est exposé devant la façade de l’aérogare. Les agents de la compagnie doivent venir le voir avant toute formalité. Les minutes passent. Nous décidons de le faire entrer à l’intérieur, même si la baie vitrée de l’aérogare ne le protège pas des regards indiscrets, ni des photos volées. Deux responsables de la compagnie s’approchent de nous enfin. Je me précipite au chevet du malade et lui chuchote à l’oreille gauche : « Tu m’entends ? », lui ai-je demandé. Il me répond par l’affirmative. « Les responsables de la compagnie viennent s’assurer que tu peux voyager en position assise comme indiqué sur le certificat médical. Ils vont nous demander de te faire t’asseoir sur la civière. Tu vas avoir très mal, mais il faut tenir. Si tu n’y arrives pas, ils ne t’accepteront pas à bord. Si tu réussis, tu voyageras. Le vol ne dure qu’une petite heure. Cela te semblera peut-être une éternité, mais c’est le meilleur chemin vers ta guérison. Tu dois serrer les dents. »
Test passé avec succès. Nous le rallongeons sur la civière. L’infirmière remet en place la sonde urinaire qui s’était détachée pendant les manipulations, avant de le replacer dans l’ambulance. L’avion atterrit à 12h45. Quelques minutes plus tard, l’ambulance, qui attendait sous l’ombre d’un manguier à l’extérieur, entre sur le tarmac, au pied de l’avion. Des agents de l’aéroport soulèvent la civière et dévalent les marches de l’escalier d’embarquement jusqu’à la porte de l’appareil. Ils récupèrent le malade et l’installent sur son siège, entouré de ses deux accompagnateurs. L’avion décolle vers 13h35.
Vers 19h45, j’aperçois un appel manqué de Massoudi Mzé (Deux à Zéro), qui est à Dar. Je le rappelle. Sa voix est lourde. Presque étouffée. Puis la nouvelle tombe, comme un couperet : le médecin dit qu’il n’y a plus d’alternative. L’amputation est inévitable. L’opération à Moroni a été mal réalisée, et la décomposition avancée de la chair a fini par infecter les os. Je retourne à la mosquée pour appeler Ali Msilié (Mtsimbili), resté suivre un dars. Quant à Mohamed Elamine (Jeudi), il est déjà en route pour nous rejoindre à la place Itsindjedjuu après avoir été contacté par « Deux à zéro ». Nous appelons ensuite Mahamoud Nombamba.
En petit comité, nous nous rendons chez la mère de Tchitcha. Elle n’a pu qu’accepter d’autoriser l’amputation, malgré la douleur qui se lit sur son visage. Nous rappelons Dar pour donner le feu vert. Les médecins entament aussitôt la préparation médicale en vue de l’opération prévue pour le lendemain. C’est ainsi que vendredi, vers 18h, Tchitcha s’est fait amputer la jambe gauche. Conséquences directes des négligences d’El-Maarouf, il est désormais condamné à passer le restant de sa vie avec une prothèse. Une vie brisée. Des rêves volés. À seulement 28 ans. Il a payé le prix d’une bévue qui aurait sans doute pu être évitée.
Toufé Maecha
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