La Gazette

des Comores

E-administration : Une ambition freinée par la réalité du terrain

E-administration :  Une ambition freinée par la réalité du terrain © : HZK-LGDC

Le lancement officiel du projet E-administration le 16 octobre dernier à Itsandra, financé par l’Union européenne et mis en œuvre par Expertise France, marque une nouvelle tentative de modernisation de l’administration publique comorienne. Sur le papier, cette initiative promet une gestion centralisée des données, une meilleure transparence et une administration plus performante. Mais sur le terrain, la réalité comorienne risque de rendre cette ambition difficile à concrétiser.


Aux Comores, la dématérialisation des services publics se heurte à un obstacle de taille notamment les coupures d’électricité incessantes. Les pannes quotidiennes fragilisent déjà les activités des administrations, des écoles et des entreprises. « Comment voulez-vous qu’on parle d’administration numérique quand on passe parfois des journées entières sans courant ? », s’interroge l’agent du ministère des Finances, Saïd Ali. Dans un tel contexte, il paraît difficile d’imaginer une administration entièrement numérique fonctionnant de manière continue. Le fonctionnement d’un système en ligne exige une connexion stable et une alimentation électrique fiable, deux conditions encore loin d’être réunies dans le pays.

L’autre défi est d’ordre social. La fracture numérique reste profonde : une grande partie de la population ne possède pas d’ordinateur, et encore moins une connexion internet régulière. « Dans mon village, la plupart des gens n’ont même pas accès à internet. Si on met tout en ligne, comment feront-ils pour faire leurs papiers ? », s’inquiète Hadidja Ousseni, enseignante à Kove. Mettre les services publics exclusivement en ligne risquerait donc d’exclure une partie importante des citoyens, notamment ceux qui dépendent encore des démarches physiques pour accéder à leurs droits. L’e-administration, censée rendre la fonction publique plus efficace, soulève aussi des inquiétudes sur le plan social. L’automatisation des services et la réduction des procédures papier pourraient entraîner la suppression de nombreux postes administratifs, dans un pays déjà confronté à un fort taux de chômage. « Si les ordinateurs font le travail à notre place, que va-t-on devenir ? », redoute un fonctionnaire rencontré à Moroni Salimamoud.

Pour beaucoup d’agents publics, cette réforme rime davantage avec insécurité professionnelle qu’avec modernisation. Le projet d’e-administration s’inspire de modèles étrangers, souvent mis en place dans des pays où les infrastructures numériques et énergétiques sont stables. Aux Comores, il apparaît urgent de renforcer d’abord les bases : fiabiliser le réseau électrique, démocratiser l’accès à Internet, former les agents à l’usage du numérique et garantir la sécurité des données. « Avant de parler de modernisation, il faut qu’on règle nos problèmes de base. Sinon, on ne fera qu’ajouter des complications à une administration déjà fragile », estime un observateur du secteur public.

La transformation numérique de l’administration est une étape inévitable, mais elle ne peut être copiée sur des modèles étrangers sans tenir compte des réalités locales. « L’e-administration doit être pensée à la comorienne, avec nos moyens, nos contraintes et nos priorités », insiste le jeune entrepreneur, Moussa Hamidou. Avant d’envisager une transition totale vers le numérique, le pays devra bâtir des fondations solides, inclusives et durables. Sans cela, la modernisation administrative risque de rester une promesse, plus qu’un véritable progrès.

Mohamed Ali Nasra

 

 


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