La disparition d’Omar Tamou, ancien ministre et acteur clé des transitions politiques comoriennes des années 1980 à 1990, plonge la nation dans une réflexion sur son héritage, entre engagements, contradictions et humanité. Décédé cette nuit en région parisienne, cet homme d’État, à la fois discret et influent, laisse derrière lui un parcours marqué par des choix audacieux, des regrets assumés et une simplicité rare dans l’arène politique.
Un parcours politique dense et tumultueux
Né d’une culture malgacho-comorienne, Omar Tamou a gravi les échelons du pouvoir durant des périodes cruciales pour l’archipel. Membre fondateur du Rassemblement démocratique du peuple comorien (parti blanc), ministre de la Fonction publique et du travail, des affaires économiques, puis développement rural sous Saïd Ibrahim et Ahmed Abdallah sous l'autonomie interne, il a été élu plusieurs fois député de Badjini contre Saïd Hassane Saïd Joachim, son adversaire redoutable de la région. Ministre de l’Intérieur sous Ahmed Abdallah de 1985 à mars 1990, il a été un pilier du régime, avant de prendre le portefeuille des Transports sous la présidence de Taki Abdoul Karim. Son influence s’est étendue au-delà des fonctions techniques : en 1996, son soutien à Mohamed Taki fut déterminant pour la victoire de ce dernier à la présidentielle face à Abbas Djoussouf. Il était arrivé troisième à ce scrutin remportant 13,26%. Il accepte la dissolution du parti Udzima dont il est leader pour rejoindre le parti unifié soutenant le président Taki.
Homme de loyauté, il a servi sous plusieurs régimes, y compris lors des transitions post-coup d’État. Il assuma même l’intérim de la présidence en l’absence d’Abdallah, preuve de la confiance que lui accordaient ses pairs. Pourtant, son parcours n’a pas été sans zones d’ombre, qu’il n’a jamais cherché à occulter.
Un homme franc, assumant ses erreurs
Proche de mon regretté père, un infirmier qu’il consultait régulièrement malgré sa propre position sociale, Omar Tamou incarnait une modestie déconcertante. Je l’ai connu jeune, puis plus tard dans le cadre de mes entretiens avec les acteurs politiques et historiques des Comores, j’ai toujours été frappé par sa transparence. Loin des ors du pouvoir, on le croisait souvent à la place Mtsangani, jouant au domino ou au mraha avec des anonymes, refusant de se prendre au sérieux malgré son statut.
Lors de nos entretiens, il n’a jamais éludé les épisodes controversés de sa carrière. En 1978, il reconnut sans détour son rôle dans le coup d’État contre Ali Soilih, qu’il justifia par un rejet du « pouvoir révolutionnaire ». Plus tard, sous Djohar, il soutint des manœuvres politiques appuyées par les militaires, notamment les fils d’Ahmed Abdallah. « J’assume mes responsabilités, même quand j’ai eu tort », répétait-il.
Les ombres d’un héritage : 1987 et 1990
Deux événements ont durablement marqué son image. En 1987, trois jeunes Comoriens – Boina Idi, Gaya et Ali Adili – furent torturés à mort sous les ordres de Bob Denard. Tamou signa un communiqué officiel attribuant ces morts à une « tentative de coup d’État », alors qu’il savait la vérité plus sombre. Il m’a confié n’avoir « ni ordonné ni approuvé ces actes », mais avoir agi sous pression dans un contexte de crise où « la marge de manœuvre était nulle ».
En 1990, l’élection présidentielle fut truquée au profit de Mohamed Taki, alors que les résultats initiaux donnaient gagnant Taki Abdoul Karim. Tamou, impliqué dans ce scandale, exprima des regrets tardifs : « C’était une erreur collective. J’ai demandé pardon à Badjanani, devant les Comoriens lors du référendum constitutionnel en 1992. » Une repentance publique qui contrastait avec le silence d’autres acteurs de l’époque.
Djohar vs Halifa : un choix controversé
Autre décision critiquée : en 1989, après la mort d’Ahmed Abdallah, Tamou impose à Beit-Salam, sous le regard menaçant de Bob Denard, la désignation de Saïd Mohamed Djohar comme président intérimaire, au détriment d’Abdallah Halifa pourtant prévu par la Constitution. Il justifia ce choix par deux raisons : la non-promulgation officielle de la nouvelle Constitution par Abdallah, et la perception de Djohar comme un « homme d’État exemplaire », face à Abdallah Halifa, jugé moins expérimenté.
Paix à son âme
Omar Tamou restera une figure paradoxale : un loyaliste capable de renversements, un technocrate mêlé à des intrigues, mais aussi un homme qui aimait rire et partager des parties de domino avec des inconnus. Dans un pays où la politique se nourrit souvent de rancœurs, il aura eu le courage de reconnaître ses torts, sans chercher à réécrire l’Histoire.
Retiré de la vie politique comorienne, Omar Tamou vivait en toute modestie à Foumbouni, sa ville et assistait à la fin d’une génération qui a lutté et gérait le pays après l’indépendance, avec ses échecs et ses réussites.
Il est vraiment dommage que les télévisions nationales ne consacrent pas des reportages, en lien avec nous, historiens ou témoins, à des reportages sur les figures comoriennes avant qu’elles soient rappelées par Allah afin de transmettre l’Histoire et la Mémoire.
« Inch Allah, amine », murmurait-il souvent. Que ces mots accompagnent aujourd’hui son dernier voyage.
Paix à son âme bi idhni Allah taala amine.
Nakidine Mattoir
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