Ce 13 avril 2025, le Président de l’Union des Comores, Azali Assoumani, a pris une décision qui a choqué et divisé l’opinion publique. En accomplissant le Grand-Mariage, une tradition ancestrale qui reste un sujet de controverse, Azali met en lumière une réalité complexe : la tension entre modernité, développement économique et traditions culturelles. Pourtant, ce geste, bien qu’il puisse être vu comme une tentative de retour aux racines, soulève des interrogations profondes sur les choix politiques de ce président, qui, autrefois, avait juré d’éradiquer cette pratique.
Le Grand-Mariage : Un Fléau Culturel ou un Symbole de Stabilité ? Le Grand-mariage, souvent critiqué pour son caractère contraignant et son coût exorbitant, reste un rite de passage social essentiel pour les élites des Comores. Initiée par les bourgeois pour permettre aux moins fortunés de participer aux cercles sociaux influents, cette pratique a évolué, mais elle a aussi contribué à l’enlisement économique et social de nombreuses familles. Les critiques, portées notamment par l’ex-ministre de l’Économie, Dr Maoulana Charif à travers sa thèse de Doctorat, affirment que cette tradition bloque les initiatives de développement, en exacerbant les inégalités sociales et en élevant les coûts de la vie pour les familles déjà fragilisées.
Azali Assoumani, président des Comores, m’a confié en 2013 que son regret était de ne pas avoir pu éradiquer cette pratique lors de son mandat de 2001-2006. Il y voyait un obstacle au développement économique et un frein à l’amélioration des conditions de vie des Comoriens. Pourtant, aujourd’hui, le président semble s’être résigné à cette réalité.
Un Geste de Soumission ou de Politique Calculée ? Le choix d’accomplir ce Grand-Mariage en 2025, loin d’être un simple acte de tradition, semble être une manœuvre politique stratégique. En s’acquittant de ce rite, Azali cherche à solidifier son pouvoir et à s’assurer le soutien des élites locales, principalement les notables, dont la bénédiction est cruciale pour la stabilité du régime et surtout à une période où le risque d’e dislocation des îles est très élevé (2029). Loin d’être un geste uniquement culturel, cette décision pourrait être interprétée comme un calcul politique, où l’acceptation d’une pratique jugée rétrograde permet de renforcer la base de soutien du président.
Azali pourrait voir dans cette démarche une façon de maintenir l’unité nationale, en conciliant tradition et modernité. En effet, le Grand-Mariage, malgré ses coûts et ses excès, demeure une institution solide dans la société comorienne. Ne pas y participer aurait pu lui aliéner une part importante de la population qui considère ce rituel comme un devoir sacré.
Les Conséquences de ce Choix : Une division inéluctable ? La décision du président risque de diviser davantage la société comorienne. D’un côté, il y a ceux qui voient dans ce mariage une continuité nécessaire, un retour aux racines qui permet de préserver l’identité nationale. De l’autre, il y a ceux qui, comme certains intellectuels et leaders d’opinion, considèrent ce geste comme un recul, voire une trahison envers les idéaux modernes du développement et de l’égalité sociale.
Pour les opposants, cette action est un coup dur, car elle risque de donner du poids à l’argument selon lequel il est impossible d’échapper à la tradition et aux pratiques anciennes. Ma position comme sociologue et critique de cette tradition, devient encore plus vulnérable. L’opinion publique pourrait commencer à juger négativement nous qui luttons contre le Grand-Mariage, nous voyant comme déconnectés des réalités sociales et politiques du pays (comme Azali l’a fait, tu le feras toi aussi).
Les figures historiques comme Prince Said Ibrahim, Said Mohamed Cheikh, et Ali Soilihi, qui ont également été des opposants farouches à ce cancer, réfutent la perception selon laquelle les opposants, finissent souvent par se soumettre aux attentes sociales de la population. Ce phénomène est également observable avec des figures contemporaines comme Abdou Bacar Boina ou Soilihi Mohamed Campagnard qui ont tous réussi à résister aux intimations des notables.
Un Paradoxe Comorien : Tradition vs Modernité ; La question qui se pose désormais est celle de l’équilibre entre les impératifs du développement et la préservation des traditions. Le Grand-Mariage est perçu par certains comme un obstacle à la modernisation, un poids qui pèse sur les épaules des familles les plus vulnérables. Mais dans un pays où l’histoire et la culture sont si fortement ancrées, cette tradition pourrait-elle être éradiquée sans nuire à l’identité nationale ?
Le geste d’Azali pourrait être vu comme un compromis, une manière de naviguer entre la modernité et la nécessité de conserver les coutumes qui façonnent le tissu social. Toutefois, cette décision soulève une interrogation fondamentale : à quel prix ? L’avenir de l’Union des Comores repose-t-il sur un équilibre entre les attentes traditionnelles et la nécessité de réformes profondes pour un développement durable ?
En fin de compte, la décision du président Azali d’accomplir le Grand-Mariage est un acte hautement symbolique qui ouvre un débat sur les défis de la gouvernance dans une société où les traditions et les enjeux modernes se heurtent. Si ce geste peut être interprété comme un retour aux sources, il pourrait aussi être perçu comme une capitulation face à des forces sociales puissantes. Quoi qu’il en soit, il laisse une question sans réponse : l’acceptation des traditions locales est-elle réellement compatible avec la mise en œuvre de réformes modernes ? Seul l’avenir nous le dira.
Pour plus de compréhension je vous invite à lire mon dernier ouvrage : sociologie d’une croyance et d’une pratique aux Comores.
Dr Mistoihi Abdillahi, sociologue
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