À travers le slam, la danse et la mise en scène, la Compagnie TcheZa explore avec force et sensibilité les questions d’identité anjouanaise et les stéréotypes insulaires dans un spectacle bouleversant. À quelques jours de sa première, prévue ce mardi 24 juin à Moroni, L’Anjouanais s’annonce déjà comme une œuvre percutante et profondément engagée. Imaginé par Salim Mze Hamadi Moissi, et porté par les talents de la slameuse Mahe Mouri et du danseur-interprète Kamal Mze Mbaba, le spectacle mêle poésie, gestes et émotions pour raconter les tensions, les blessures mais aussi la dignité d’un peuple souvent incompris.
Pour Salim Mze Hamadi Moissi, metteur en scène et chorégraphe, tout est parti d’un voyage en 2015. « C’est la première fois que j’allais à Anjouan. J’ai ressenti cette fierté, cette débrouillardise, mais aussi une forme d’isolement. En revenant à la Grande Comore, j’ai compris l’ampleur des clichés que nous avons intégrés sans les remettre en question. » Touché par les discriminations insidieuses, parfois banalisées dès l’enfance, Salim décide de « creuser la blessure pour mieux la soigner », avec un spectacle qui se veut à la fois miroir et électrochoc. « Il faut que ça fasse mal. Comme quand on met de l’alcool sur une plaie, ça pique, mais c’est nécessaire. » Le choix du slam et de la danse n’est pas anodin. « Le théâtre aurait été trop codifié. Le slam, lui, va droit au cœur. Il tranche, il dénonce, il élève. »
Originaire d’Anjouan et Moheli, Mahe Mouri s’est rapidement retrouvée dans ce projet. L’écriture de ses textes s’est nourrie de l’observation du danseur, mais aussi de son propre vécu. « J’ai passé une nuit à pleurer. Incarner ce personnage, c’est porter sur scène une douleur qui me traverse. » Sa plume a puisé dans les témoignages récoltés à Volovolo, et dans cette phrase qui l’a bouleversée. « Celui-là, il doit mourir, c’est un Anjouanais. » Pour elle, le slam a un rôle clé dans la déconstruction des stéréotypes. « Il révèle, il questionne. Celui qui écoute ne peut plus dire qu’il ne savait pas. » Du côté de Kamal Mze Mbaba, la danse donne chair aux contradictions ancrées dans l’identité anjouanaise. « Par un mouvement fluide, j’exprime la fierté. Par un geste sec, la douleur. L’Anjouanais est souvent vu comme un bloc figé, mais il est multiple, complexe, vibrant. » Ses tableaux s’inspirent de scènes de la vie quotidienne entre files d’attente au port, tensions sur les marchés, discussions de village. « J’ai voulu traduire ces moments qui paraissent anodins, mais qui disent tant sur nos rapports sociaux. »
Le plus grand défi du danseur ? Éviter la caricature. « Il fallait trouver l’équilibre entre le collectif et l’intime. Danser les silences, les non-dits, sans jamais tomber dans l’excès. » À travers « L’Anjouanais », la Compagnie TcheZa propose une lecture actuelle des tensions identitaires entre les îles. Salim Moissi affirme que « ce spectacle est destiné à tous les Comoriens, ici comme ailleurs. Il s’agit de réparer ce qui nous divise, de rendre justice à une mémoire souvent méprisée. » Et si les blessures sont profondes, les artistes misent sur l’art comme outil de guérison. « Ce qu’on veut, c’est que la génération future n’hérite pas de nos préjugés, mais d’un regard neuf, libéré de la haine. » L’Anjouanais sera présenté le mardi 24 juin 2025 à 20h00 à l’Alliance Française de Moroni. Entrée libre. Une invitation à repenser notre manière de voir l’autre, et peut-être, à mieux nous voir nous-mêmes.
Mohamed Ali Nasra
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