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des Comores

Soeuf Elbadawi, artiste « Nous ne pouvons pas nous satisfaire d’un imaginaire figé dans le temps »

Soeuf Elbadawi, artiste « Nous ne pouvons pas nous satisfaire d’un imaginaire figé dans le temps » © : HZK-LGDC

Entre fiction et réel, Soeuf Elbadawi cherche à travers « Prière pour un pays » à interroger sur les formes rituelles anciennes. Et pour lui et pour les deux poètes qui sont intervenus dans ce court métrage d'une quinzaine de minutes, la prière n'est pas seulement la pratique religieuse mais aussi « une sorte de miroir » qui reflète ce que nous sommes. Interview.


Question : « Prière pour un pays », le film dont vous êtes le réalisateur, est programmé à la 7ème édition du festival international du film numérique à Cotonou. Parlez-nous un peu du scénario.

Soeuf Elbadawi : C’est un film fait à l’arraché. A partir d’une performance réalisée dans un lieu sacré à Mirontsy (Anjouan). Entre fiction et réel, j’ai cherché à réinterroger des formes rituelles anciennes, aujourd’hui stigmatisées par la bienséance religieuse. Etrangement, le Comorien, qui se prétend musulman à 104%, continue à s’y accrocher, bien que ce soit de manière plus discrète. J’ai poussé l’exercice à l’extrême, en intégrant une forme de syncrétisme, entremêlant des pratiques plus anciennes à de plus récentes. Deux poètes, Anssoufouddine Mohamed et Saindoune Ben Ali, s’expriment ensuite sur les notions de sacré et de création, à partir de cette performance, et en tenant compte du fait que nous appartenons à un pays où les imaginaires transmis par les Anciens sont mis à rude épreuve, voire désacralisés.

Question : « Derrière le mot « prière », il ne faut pas qu’on mette uniquement le sens religieux, déclare le poète Saindoune Ben Ali dans le film. Il s’agit des rituels, où l’on voit, où chacun se voit, où on trouve des représentations de nous-mêmes ».

SEB : La prière telle que je l’aborde dans le film est ce qui nous réconcilie avec nous-mêmes. Il est vrai qu’elle ne prend pas racine dans le vide. Il est vrai qu’elle se fonde sur l’existant, sur le legs, sur les multiples pratiques liées au sacré dans notre monde insulaire. Mais il est surtout question de ce qui nous fonde une humanité, aujourd’hui. Ce n’est pas un film sur notre rapport à la religion, mais sur l’humanité qui nous porte, et sur notre capacité à tenir debout face à l’adversité, grâce à un imaginaire fourni, riche d’influences.

Question : Si on se contente de comprendre le choix de votre réalisation, on prétend qu’il s’agit de mettre en contraste le rapport entre la création et le sacré. Comment est-ce que vous définissez le sacré d’une part et la création de l’autre bout ?

SEB : Je n’ai pas à définir ces notions. Elles ont existé bien avant moi, elles existeront bien après. Par contre, je travaille sur notre capacité à réinventer ce qui a été transmis par les Anciens. Il est question de réactualisation du legs, et parfois de résilience. Je crois sincèrement que des traumas passés perturbent la lecture de ce que nous sommes devenus. Il faut s’y intéresser, afin de retrouver une forme de sacralité dans ce qui nous tient lieu de vie. Il y a longtemps que nous avons perdu pied dans le destin commun. J’en appelle donc aux poètes, aux artistes, aux créateurs, qui ont peut-être une certaine facilité à réinterroger le récit commun, de manière plus intelligible, voire plus sensible. « Prière pour un pays » est une métaphore sur cet archipel, rappelant la responsabilité des gens de culture dans la remise en question de nos imaginaires, d’imaginer d’autres possibles. L’enjeu serait de pouvoir élargir les horizons, de générer d’autres questionnements à notre endroit. Nous ne pouvons pas nous satisfaire d’un imaginaire figé dans le temps. Ce serait contraire à toute l’histoire de ce pays.

Question : Votre dernier mot…

SEB : Je prie pour que le mythe contemporain de l’Al-Camar reprenne des couleurs, grâce à la production d’un nouvel imaginaire, qui soit fidèle à la complexité qui nous fonde. J’espère que le cinéma pourra y contribuer. Moi, je viens plutôt du théâtre, de la littérature et de la photographie. Mais il y a de plus en plus de jeunes cinéastes qui montent, à qui il faudrait faire de la place, pour une création plus impliquée dans sa réalité citoyenne.

Propos recueillis par A.O Yazid

 


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