La Gazette

des Comores

Les cris d’un visa qui tue

Les cris d’un visa qui tue © : HZK-LGDC

Auteur de plusieurs œuvres dont « un dhikri pour nos morts/la rage entre les dents », et « Moroni Blues », Soeuf Elbadawi cherche à travers Obsessions de lune/Idumbiyo IV à raconter l’histoire d’un cousin disparu, « d’un pays où règnent les cadavres-debout ». Un récit en fragments qui dénonce le mal du Visa Balladur divisant les quatre îles de l’archipel des Comores faisant du bras de mer entre Anjouan et Mayotte le plus grand cimetière marin du monde.


« Mes écrits parlent de ce pays, de ses tourments, de sa volonté d’exister ». C’est par ces mots que Soeuf Elbadawi décrit son écriture, « Obsessions de lune/Idumbiyo IV » plus précisément. Cette œuvre qu’il ne considère ni de littéraire ni de pièce de théâtre qui retrace les pleurs d’une personne ayant perdu un des siens au cœur du plus grand cimetière marin du monde qui sépare une île de ses autres îles sœurs à la force du colon. « Un Comorien ne devrait pas avoir à combattre pour exister dans cet archipel. C’est limite absurde. Aucun peuple ne peut être clandestin en ses propres terres », explique l’auteur rappelant que « l’Île (Mayotte) n’a pas bougé de la carte » donc son appartenance à cet ensemble archipelique est irrévocable.

 

« Plus de 20.000 morts dans nos consciences. Il est question de dépossession et de déconstruction. Nous ne pouvons pas renoncer à ce qui fonde notre humanité. En parler dans mon travail est une manière en tout cas de dire non à l’effondrement de l’archipel. Le silence orchestré autour de cette question devrait tous nous interpeller. Ceux qui meurent entre Ndzuani et Maore sont des musulmans comme nous, des Comoriens comme nous, des êtres humains comme nous. Comment peut-on les oublier ou feindre de ne pas entendre leurs cris ? Yafa kwasani uyendza. Nous avons une responsabilité envers ces morts. Et nous devons trouver le moyen d’agir contre ce silence ».

 

« Obsessions de lune/Idumbiyo IV » dénonce dans un autre angle la domination d’un Etat plus fort à un Etat plus faible. Ce contraste que fait l’auteur par rapport à la France et les Comores n’est qu’un petit jeu car comme nous il nous le confie : « La domination a déconstruit pour mieux nous déposséder. Il faut qu’on soit capable de retisser du lien et de re-fabriquer de l’espérance ». Pour Elbadawi, le retour de Mayotte à son giron naturel est sans doute faisable car dit-il « il n’y a pas de raison pour que cela ne fonctionne pas ».

 

« Ce que le conquérant a défait dans ces îles, nous pouvons encore le remettre à l’endroit. Nous avons du souffle dans les bronches. Mais il va falloir prendre le taureau par les cornes, si nous voulons voir la lumière triompher, un jour. Ce qui est sûr, c’est que nous risquons l’anéantissement, si nous renonçons à ce qui fonde notre humanité. L’Être-ensemble est la meilleure des réponses à opposer à cette tragédie du pays, mais il ne doit pas se figer dans le discours », insiste-t-il.

 

A travers ce texte qui « entremêle des voix » dont celle de l’auteur et celle d’un personnage fictif ayant perdu son cousin, celles du pays profond et celles de gens indignés, l’auteur de « Un dhikri pour nos morts/la rage entre les dents » voit en cette mise en perspective de voix un moyen de « permettre au lecteur de mieux saisir la complexité de cette tragédie née du rapport à la domination d’un Etat plus fort sur un Etat plus faible ». Le style d’écriture (un texte dépourvu d’une partie de pointiller) et mêlant l’arabe (versets coraniques), le comorien (des extraits de textes de poésie) et le français, représente pour l’auteur son appartenance à « un monde-carrefour, où la pluralité des imaginaires est à la fois une nécessité et une constance ».

 

Pourquoi ce choix ? Soeuf laisse croire que son choix s’explique par le fait que « certaines choses ne peuvent se traduire dans l’autre langue, sans risquer de se noyer dans l’imaginaire d’autrui ». « La vraie langue reste celle de l’auteur », dit-il en reprenant les mots de l’écrivain, poète et dramaturge Irlandais Samuel Beckett. « Le français, l’arabe ou le comorien ne sont qu’un moyen de la rendre intelligible », poursuit celui qui se questionne sur l’importance de ses mots si ce n’est pour s’interroger sur les tragédies de ce pays.

 

A.O Yazid


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