La Gazette

des Comores

La presse comorienne à la croisée des chemins

La presse comorienne à la croisée des chemins © : HZK-LGDC

Ce titre n’est pas de moi, il est le constat fait par le président du Conseil National de la Presse et de l'Audiovisuel, Mohamed Boudouri dans l'avant propos du petit livre de poche "Medias aux Comores" qui relate d'une façon non exhaustive l'évolution du métier de journaliste à travers le temps. Médias aux Comores / Des bribes d’histoire (ré) assemblées est une rare contribution, publiée sous la direction du CNPA (Conseil National de la Presse et de l’Audiovisuel des Comores), dans l’idée de dresser un rapide état des lieux de la profession. Un peu moins de 80 pages, co-écrites par des journalistes de la place, qui ont cherché, non pas à dresser un réquisitoire, mais plutôt à fournir des clés pour que l’on saisisse mieux les limites de leur monde.


Thomas Jefferson disait dans son discours lors de la  déclaration de l'indépendance américaine en 1776 « notre liberté dépend de la liberté de la presse, et elle ne saurait être limitée sans être perdue ». Une phrase en totale contradiction avec celle attribuée par Kamal'Eddine Saindou « un journaliste doit se soumettre ou se démettre » à l'ancien ministre de l'intérieur en charge de l'information (1978-1989) Omar Tamou. Une hérésie qui n'était pas singulier au seul cas des Comores, mais était l'apanage des régimes africains « l'information sous contrôle fut la norme » post indépendance. Les journalistes furent utilisés comme les zélateurs des régimes en place. Le journaliste Ali Moindjie relate d'ailleurs à cet effet le limogeage de l'ancien directeur de l'ORTC Mohamed Hassani pour avoir permis la diffusion d'un communiqué du syndicat des boulangers faisant état de l'augmentation du prix de la baguette après que la douane eut à augmenter les frais de dédouanement du blé. Une anecdote qui illustre le peu de marge donné au patron de l'audiovisuel comorien en termes de diffusion de l'information. Rien de plus normal pour le journaliste. « Le président de la République nomme et révoque le directeur de l'ORTC à sa convenance ». Et de renchérir « on doit saisir l'extrême prudence, pour ne pas dire le sens de la servilité volontaire, des titulaires successifs depuis feu Ali Soilih ».

Mais la fin d'une époque ne signifie pas pour autant la fin des pratiques. A l'heure des nouvelles technologies de l'information où l'information justement se transmet à la vitesse de la lumière, autrement dit en temps réel, le journaliste comorien continue d'être utilisé comme objet de communication pour véhiculer des informations souvent non vérifiables mais qui font le buzz et suscitent le débat. « Les gens sont prêts à croire n'importe quoi, venant de n'importe qui. Comme s'ils perdaient tous leur sens critique », a tenté de résumer la situation Soeuf El-Badawi. Un peu plus loin, l'auteur de Moroni Blues a explicité les conséquences de cette sorte de mesinformation. « Le monde se divise alors en deux parties opposées. Ceux qui sont pour, et ceux qui sont contre » une division de la société qui est entretenue comme fond de commerce par les politiciens de tout bord. Dans cet océan de chao décrit par El-Badawi, des apprentis sorciers s'improvisent journalistes sans pour autant que l'organe régulateur n'ait son mot à dire. Une situation qui est vécue au sein même du corps, soit comme une impuissance ou une complaisance, la réalité se situant entre les deux.


Mais la presse comorienne fait face à d'autres démons, le matchisme et les affaires d'harcèlement envers les journalistes féminins. Dans cet ouvrage, on retrouve quelques "bribes" historiques relatés par la journaliste Faiza Soule Youssouf sur quelques mésaventures vécues par les femmes journalistes depuis la constitution de l'Etat comorien comme nation indépendante. De l'harcèlement de feue Saminya Bounou à la tentative d'attouchements de Anziza Mchangama en passant par le leso qui couvre la tête de Zeinab Elyas avec le président Abdallah et tout récemment (2020), le refus sec d'un agent de la Cour Suprême à laisser rentrer dans le bâtiment la stagiaire d'Al watwan Hissani Mhoma, pour avoir mis une jupe assez courte à son goût. Malheureusement, ces dérives ne sont pas des cas isolés venant de quelques individus enivrés par quelques pouvoirs qu'ils soient. Au sein même des rédactions, on retrouve cet esprit de fermeture vis à vis des sujets (viol, harcèlement, inceste...) qui sort des sentiers battus. Une situation qui a poussé la journaliste à faire cette analyse sans concession. « J'avais intégré la possibilité d'être vouée aux gémonies par quelques fondamentalistes, mais je n'avais jamais imaginé que dans le premier organe de presse du pays, il allait y avoir autant d'avis, nourris aux préjugés de genre » une triste réalité.

 

Ce tableau sombre ne doit pas nous faire oublier les apports de journaliste tel Aboubacar M'changama, le fondateur de l'Archipel, le premier journal (1989) indépendant des Comores. Un journal que Kamal'Eddine Saindou n'hésite pas à  « considérer comme l'espace incontournable de la vérité journalistique ». La situation du journalisme aux Comores est peu enviable, mais le plus grand danger pour celui-ci ne réside pas seulement dans le fait de son utilisation comme objet de communication et non d'information, que dans son incurie à faire son propre autocritique. Le grand humoriste français Guy Bedos disait : « Je croirais vraiment à la liberté de la presse quand un journaliste pourra écrire ce qu'il pense vraiment de son journal. Dans son journal ». La remise en cause de soi est un pas pour la liberté de la presse.

 

AS Badraoui

 

 


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