La Gazette

des Comores

Allaoui Saïd Omar : « Il faut oser affronter, comme dirait Lénine, la dictature du réel ! »

Allaoui Saïd Omar : « Il faut oser affronter, comme dirait Lénine, la dictature du réel ! » © : HZK-LGDC

Allaoui Saïd Omar décortique dans son ouvrage publié chez L'Harmattan, l'histoire complexe et les tensions contemporaines de Mayotte, éclairant les enjeux géopolitiques et les choix politiques à l'origine des violences récurrentes sur l'île. Celui qui est connu pour être le Directeur de votre quotidien, La Gazette des Comores, a accepté de répondre à nos questions.


Question : Pourquoi avez-vous écrit ce livre sur Mayotte ?

S.O.A : c’est avec le souci d'apporter mon éclairage à ceux, surtout aux Français peu ou mal informés, qui ont le désir de savoir et de comprendre cette problématique de Mayotte française, qui a fait la Une des journaux avec l’opération Wuambushu, et qui empoisonne les relations franco-comoriennes. La séparation de Mayotte de ses îles sœurs se trouve, selon moi, aux origines du malheur comorien d'aujourd'hui. Faisons un peu d’histoire : au mois de juin 1973 après un mois de négociation entre les autorités comoriennes et françaises, une « Déclaration Commune », connue communément sous l’appellation d’Accords du 15 juin, a été signée par le ministre des DOM-TOM Bernard Stasi et le président du conseil de gouvernement des Comores Ahmed Abdallah. Ce texte reconnaissait la vocation du Territoire d’Outre-Mer des Comores à l’Indépendance. Paris s'était engagée à conduire dans les meilleures conditions, l’archipel à la souveraineté dans les cinq ans. La presse française de l'époque avait loué et salué cette manière exemplaire d’accompagner un territoire d’outre-mer vers son Indépendance, et certains journalistes avaient même parlé d'une décolonisation à l'anglaise.

Malheureusement lors de la ratification par le parlement français des résultats du référendum d’auto-détermination qui a eu lieu le 22 décembre 1974, résultats qui ont donné 95% de OUI à l’Indépendance, les parlementaires français ont fait le choisi de réserver un sort différent à Mayotte qui avait voté majoritairement pour le NON. Cependant, les quatre îles constituaient un territoire unique, et l’entité avait répondu à la question posée globalement : « souhaitez-vous que le territoire des Comores devienne indépendant ? ». C’est une violation du principe de l’invincibilité des frontières des pays accédants à l’Indépendance.

Question : pourquoi ce titre: "Mayotte: la question" ?

S.O.A : Mayotte, la question ? Le problème de cette île comorienne, aujourd’hui sous administration française, est d’une grande complexité, une embrouille. Il constitue pour Paris un imbroglio. Je m’interroge si la France qui a les ambitions d’une grande puissance, ses intérêts stratégiques et géostratégiques peuvent se limiter au tout Mayotte, surtout au moment où de nouveaux enjeux énergétiques font jour dans le bassin du canal de Mozambique, et attisent les convoitises des grandes puissances ! La réponse à la question de l’occupation de l’île comorienne ne peut pas, selon moi, ne pas prendre en compte cette réalité, ce contexte nouveau. 

Question : vous parlez du problème de Mayotte qui empoisonne les relations entre la France et les Comores. Ne pensez-vous pas qu’avec l’emprise électorale de l’extrême droite sur cette île, la question se complique d’avantage ?

 

S.O.A : La société mahoraise est déjà gagnée par les idées d’intolérance et de xénophobie, je ne vois pas ce que l’élection des lepénistes peut apporter de plus. L’élite politique mahoraise à l’instar de Mansour Kamardine et d’Estelle Youssouffa, en a fait il y a belle lurette son fonds de commerce électoral. Tant que le différend franco-comorien sur Mayotte ne sera pas résolu, les relations entre la France et les Comores ne peuvent pas être stabilisées.

Question : Mayotte continue d’être secouée par la violence malgré les opérations type wuambushu, quelle réflexion faites-vous sur cette question ?

S.A.O : la violence sur cette île n’est pas prête de s’éteindre malheureusement. Les sociologues ont montré que nulle part au monde, la réponse sécuritaire n’a jamais réussi à résoudre le problème de la violence. On sait que l’élite mahoraise et les autorités françaises attribuent cette violence exclusivement aux arrivées des populations des îles sœurs sans rechercher les racines du mal. Certes la venue en grand nombre par les kwassa-kwassa des jeunes de la Grande-Comore, de Mohéli et surtout d’Anjouan n’est pas sans poser de réels problèmes sur cette île où plus de 75% de la population vit sous le seuil de pauvreté. On le sait, la pauvreté nourrit la délinquance et la violence.

Certes la jeunesse responsable de la délinquance et des émeutes sur la voie publique est en grande partie constituée d’une majorité de jeunes sans famille, élevés par la rue et livrés à eux-mêmes. Pourquoi les pouvoirs publics ont-ils abandonné ces enfants dont les parents ont été expulsés, souvent en dehors de la légalité française ? Pourquoi n’a-t-on pas encadré et scolarisé ces enfants ? Qui en porte la responsabilité ? On sait qu’on ne naît pas délinquant, on le devient dans une situation sociale donnée ! Combien faudra-t-il d’opérations wuambushu ou autres Place-net, pour venir à bout de ce fléau ? Le docteur Lionel Buron, médecin psychiatre en poste à Mayotte depuis 20 ans parle dans un article intéressant dans le journal Ouest-France du 31 décembre 2022 de « la folie d’un archipel comorien morcelé » en montrant que la balkanisation des Comores en 1975 « avait posé les jalons d’un premier type de violence, celle de la discrimination en faisant naître une différence ethnique entre Mahorais et Comoriens ». Aujourd’hui, le frère comorien est devenu le bouc émissaire de tous les maux dont souffre Mayotte.

Question : la France dit rester à Mayotte en vertu du principe d’auto-détermination. Qu’en est-il, vous qui êtes diplômé des Hautes études internationales ?

S.A.O : en réalité le principe d’autodétermination ou droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a été porté au début du XXème siècle par deux grandes puissances de l’époque, les Etats-Unis d’Amériques et l’Union des Républiques Socialistes et Soviétiques. Il a connu différentes interprétations. Pour les dirigeants de ces deux pays, T.W Wilson et Lénine, ce principe devait s’appliquer à toutes les revendications coloniales alors que pour les puissances alliées européennes, il devait se limiter aux peuples soumis aux Empires Austro-Hongrois et Ottomans, les vaincus de la 1ère guerre mondiale. Il fallait attendre la fin de la 1ère guerre d’Indochine et la vague de décolonisation en Asie et en Afrique pour voir l’ONU donner un contenu précis à cette règle d’autodétermination qui figure pourtant dans l’Article 1, paragraphe 2 .

L’Assemblée Générale adopte le 14 décembre 1960 la célèbre Déclaration 1514 sur « l’octroi de l’Indépendance aux pays et peuples coloniaux », aujourd’hui appelée Charte de la décolonisation. Ce texte affirme que « l’autodétermination des peuples ne peut être interprétée comme autorisant ou encourageant une action telle qu’elle soit, qui menacerait totalement ou  partiellement l’intégrité territoriale ou l’unité politique de tout État indépendant ».

La pratique onusienne depuis les années soixante n’a fait que confirmer cette interprétation émancipatrice selon laquelle autodétermination veut dire décolonisation. Pour ceux qui veulent approfondir cette question juridique, je les invite à lire mon livre.

Question : pour conclure, comment voyez-vous la réponse à la question de Mayotte, titre de votre ouvrage?

S.A.O : la réalité d’aujourd’hui est que Mayotte en dépit des maux sociaux et des problèmes de délinquance et de violence, continue malgré tout de renforcer sa francisation. Continuer à évoquer le droit international ne suffit pas à réintégrer Mayotte dans le giron comorien. Le droit international est malheureusement la raison du plus fort ! Il faut oser regarder le réel en face, la présence française après un demi-siècle s’est consolidée, plusieurs générations n’ont pas connu Mayotte comorienne. La réconciliation du peuple comorien après des décennies  de querelles et de méfiance, sera une œuvre difficile et de longue haleine. Il faut sortir de la vision fantasmagorique d’un retour rapide de Mayotte qui ne serait qu’un miroir aux alouettes ! Il faut oser affronter, comme dirait Lénine, la dictature du réel !

Une note optimiste pour clore cet entretien, le retour de Mayotte dans son ensemble naturel est inscrit dans l’agenda de l’Histoire. La résolution de l’équation à plusieurs inconnues de Mayotte française passera par le développement de l’Union des Comores, qui en sera le facteur déterminant. Il se fera quoiqu’en disent les Estelle Youssouffa et Mansour Kamardine, les jeunes générations mahoraises rechercheront leurs racines pour s’épanouir.

De l’autre côté, dans un monde en mutation et en pleine recomposition, la France aura tout à gagner dans le bassin du canal de Mozambique avec un archipel comorien réuni et stabilisé et ses intérêts stratégiques, eu égard aux nouveaux enjeux énergétiques, seraient sans doute mieux garantis. Comme disait un grand géostratège, la géopolitique ne peut pas être l’art de s’emparer de ce qui est à autrui !   

Propos recueillis par Andjouza Abouheir

 

Brève biographie :    

Said Omar ALLAOUI est le  fondateur et directeur du Quotidien indépendant La Gazette des Comores. Il a été le directeur et rédacteur en chef du journal national Al-Watwan de 1985 à 1989. C’est un ancien fonctionnaire du Ministère comorien des Affaires Étrangères et ancien ambassadeur itinérant dans la région Sud-Ouest de l’océan Indien lors de la crise séparatiste anjouanaise.

Said Omar Allaoui est un homme engagé depuis sa toute première jeunesse. Élève, il a participé activement à la grève lycéenne de 1968 et a pris part dans la foulée au mouvement de libération nationale au sein du PASOCO dirigé par Salim Himidi, Charif Said Ali et Aliyachroutu Bourhane, aux années précédant l’Indépendance.

Pendant ses études universitaires en France, il a milité dans le mouvement étudiant, l’ASEC (Association des stagiaires et étudiants des Comores).

De retour aux Comores, Said Omar ALLAOUI s’est engagé dans l’Opposition au sein de la direction du MDP – NGDC d’ABBAS Djoussouf. Il créa le journal MIANDI, organe d’informations de ce parti. Il est par ailleurs membre fondateur de l’ACDH (Association Comorienne des Droits de l’homme créé en 1990).

Diplômé de l’Institut des Hautes Études Internationales (IHEI) de Paris, Panthéon-Sorbonne, Said Omar Allaoui est par ailleurs titulaire d’une Maîtrise d’Histoire contemporaine (Université de Nantes) et a fait un DESS de Diplomatie et Doit des Organisations Internationales (l’Université de Sceaux-Paris Sud.).

 


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