La Gazette

des Comores

Entretien Exclusif / Sithy Thurayah Daoud, à cœur ouvert : « Sans haine ni rancœur »

Entretien Exclusif /  Sithy Thurayah Daoud, à cœur ouvert : « Sans haine ni rancœur » © : HZK-LGDC

C’est face à la mer que Sithy Thurayah Daoud, actrice, mannequin, comédienne et aussi assistante comptable à la Caisse de retraite, raconte ce qu’elle a vécu durant 8 longs mois à la maison d’arrêt de Moroni, cet affreux bagne dont même les rats ne voudraient pas. Chez elle, plus de rancœur. Elle veut juste retrouver sa vie d’avant, son travail à la Caisse de retraite. Sa vie d’avant la prison et son insalubrité. Sa promiscuité. Son odeur fétide. Ses murs délabrés.


« Quand on m’a dit que j’allais à la maison d’arrêt, je n’y croyais pas. J’avais l’impression que mon corps ne m’appartenait plus. Je ne ressentais rien », c’est ainsi que l’actrice commence son récit. Puis « très vite, j’ai repris le dessus, espérant que ça allait passer très vite, que je n’y resterai pas longtemps ». Les jours se sont transformés en semaines, puis en mois.

 

Sa première nuit en prison ? Horrible. « C’est un endroit isolé, comme une maison abandonnée, très sombre, les murs étaient pleins de moisissures, comme un mappemonde, mais effrayant, des moisissures noires ou grises. Des odeurs fétides que je ne parviendrai peut-être jamais à décrire, mélange de vêtements sales et humides empilés durant un certain temps et de toilettes nauséabondes », relate-t-elle. Et il y a « ces particules de peinture flottant dans l’air qui vous prennent à la gorge, tout le temps et ce matelas posé presque à même le sol, ce sol humide qui le transperce malgré tout ». Un matelas, précisera-t-elle, « usé par le temps, fin et poussiéreux ».

 

Dans cette cellule, deux matelas, de chacun, une place. « Au début nous étions deux femmes, parfois nous nous retrouvions à 4, serrées comme des sardines». Elles n’avaient pas le choix. Et puis il y a les toilettes, sans doute en meilleur état que celles des hommes mais horribles quand même. Elle reparle de l’odeur. « Infecte, malgré tous nos efforts, pour la faire partir, elle était là, prégnante, éternelle et elles étaient sombres, les toilettes».

 

Cette dame dont le regard inquiétant me suivait tout le temps

 

Elle ne parle pas d’un environnement hostile, en tout cas de la part de ses codétenues. Il y en a juste une qui lui faisait peur. « Elle était bien en chair, me suivait du regard tout le temps, je sentais bien que si elle décidait de me faire du mal, je ne pouvais pas l’en empêcher », a-t-elle lâché dans un souffle. Il ne s’est heureusement rien passé de fâcheux. En rigolant, elle a évoqué les flatulences de la femme en question, de son absence de gêne, quand elle avait des gaz « elle les lâchait, ils étaient puants et on aurait dit des coups de tonnerre ».

Elle se souvient que la dame n’avait jamais reçu de visite, on ne lui envoyait jamais de quoi manger. Alors, sans doute mieux lotie dans son malheur, elle lui en proposait mais aussi à d’autres. «En prison, celles qui ne reçoivent pas à manger de la part de leurs familles ont droit à un repas par jour, qu’elles cuisinent elles-mêmes ». Ensuite, il y a l’eau de la prison. Sans doute souillée et impropre à la consommation. « Je me rappelle d’une jeune fille de 18 ans, qui était souvent prise de diarrhées et de vomissements, elle n’avait pas les moyens d’avoir de l’eau minérale, alors elle buvait celle-là».

 

 Crises d’asthme, eczéma et mucus sanglant

 

Elle, ne s’en servait, que pour se baigner. Et encore : « j’avais la peau qui pelait, le visage irrité », comme pendant une crise d’urticaire. Sithy Thurayah Daoud, qui est aussi mannequin, est asthmatique. « Les 6 années précédant mon incarcération, mes crises n’étaient pas graves, elles étaient gérables mais une fois en prison, elles étaient de plus en plus fortes, de plus en plus difficiles à maitriser ». Sa ventoline ne les calmait qu’un laps de temps. Ensuite, elles revenaient. « Une fois, j’ai fait une autre crise, j’ai tambouriné au portail pour alerter les surveillants. Je crois qu’en prison, on peut être malade, avoir le temps d’agoniser sans que ceux-ci soient au courant », a-t-elle déploré.

Quant au médecin à qui elle a maintes fois répété que la récurrence de ses crises d’asthme, quand elle parvenait enfin à le voir, était liée à l’insalubrité de sa cellule, il n’a jamais pu faire en sorte que ça change. « J’ai développé de l’eczéma, je saignais du nez, un mucus épais et rouge, des migraines intenses », a déclaré la jeune femme, sans rancœur, elle en parle parce qu’elle devait le faire.

 

Sans haine ni rancœur

 

Elle triture ses mains, les fixe, regarde parfois la mer, son téléphone, cherche ses mots. Sithy Thurayah n’a pas l’air abimé par ses longs mois de détention. Elle a peut-être peur, mais elle le cache bien. « La nuit, parfois, je fais des cauchemars. Mais c’est « tout ». « Je n’ai aucune haine en moi, je me sens même apaisée maintenant. Je suis contente de retrouver les miens, famille, amis, connaissances ou inconnus, nombreux à m’avoir apporté leur soutien, qui se sont mobilisés pour que jaillisse la vérité. Même si je devais vivre longtemps, je ne pourrai jamais assez les remercier », a-t-elle dit dans un souffle. Puis avec plus d’entrain, elle dira, « je suis contente de retrouver la lumière du soleil, de respirer un air frais, de voir la lune et je n’ai pas le temps de ressasser de la rancœur ». Un souhait, cependant, c’est qu’elle retrouve son boulot d’assistante comptable à la Caisse de retraite. Reprendre aussi sa vie artistique. Et ne s’imagine pas une seconde, vivre loin de « son pays ». « Jamais, y penser me rend triste, je suis bien ici ». Elle est tellement attachée à ce pays que le quitter lui ferait « mal, extrêmement mal ».

 

Faïza Soulé Youssouf

 

 


Les contenus publiés dans ce site sont la propriété exclusive de LGDC/HZK Presse, merci de ne pas copier et publier nos contenus sans une autorisation préalable.