La Gazette

des Comores

Un homme d’esprit, un sage, une conscience incomparable

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Un homme d’esprit, un sage, une conscience incomparable © : HZK-LGDC

On prend toujours un risque en affirmant qu’une personne incarne l’exceptionnalité dès lors qu’il s’agit de la perfection de son comportement d’être humain dans ses relations, dans le besoin permanent pour son pays d’institutions garantes d’une société démocratique, exemplaire dans la gestion du bien commun, conférant à l’incarnation de la citoyenneté, à la pratique de la justice et de la solidarité le statut de valeurs inséparables de l’essentiel d’une société juste, attachée au respect de l’intérêt collectif.


Said Hassane, l’exemplarité incarnée

Said Hassane Said Hachim a toujours incarné ces grandes valeurs, il en a même été la personnification dans sa vie, prêchant inlassablement l’exemplarité des dirigeants, offrant à tous, dans un contexte miné par la soif de l’enrichissement personnel, la corruption « institutionnalisée », l’exemple d’un mode de vie exempt de toute transgression susceptible d’assimilation aux déviances élevées en culture politique. Et pourtant l’homme a exercé les plus hautes fonctions : parlementaire, gouverneur détenteur d’une autorité étendue quand Ahmed Abdallah est revenu au Pouvoir, ambassadeur à Paris, plusieurs fois ministre, dont le portefeuille de ministre d’état, responsable des affaires étrangères, sous Djohar. Ce sont là de hautes fonctions qui ont fait de certains des hommes riches, honteusement très riches. Said Hassane n’a pas été de cette « race » là.

C’était un homme bon. Jamais, durant nos longues années d’amitié, de fraternité même (le mot n’est pas abusif), je ne l’ai entendu, dans nos échanges, insulter un adversaire politique. Les faits de corruption, les déviances de toutes sortes, il les dénonçait, en analysait publiquement les conséquences malheureuses sans jamais prononcer les noms des coupables. Avait-il à le faire, les coupables de ces méfaits étalant au grand jour les villas construites en quelques semaines, les belles voitures dont les prix équivalent à des dizaines d’années de leurs salaires.

Said Hassane souffrait de tout ce qui accable notre pays. Il ne pouvait accepter comme fatalité cette permanence de l’irrationnel, cette propension des élites – aujourd’hui nombreuses, diplômées, dans le déni de l’intérêt collectif. Bien sûr que Said Hassane, homme pénétré de la foi islamique, intégrait le fait que tout ce qui arrive dans la vie relève de la Toute Puissance divine. Mais, comme tous les avertis, il savait que cette même Puissance divine confère à l’homme des capacités de discernement, d’élévation et de vision susceptibles de lui faire prendre conscience de ses responsabilités et d’œuvrer pour l’intérêt général. Tout comme le même être humain, aux Comores, comme ailleurs, est capable des pires conduites. C’est là toute la complexité de la nature humaine. C’est dans cette dualité que se forgent l’honnêteté, les attitudes citoyennes, les natures vouées aux causes d’intérêt collectif, comme celles, malheureusement, de la gabegie et de la déconstruction. Celles-là mêmes qu’inlassablement Said Hassane raisonnaient, faute d’alternative pour des sanctions légitimes. Certes bien de pays vivent les mêmes aberrations que celles dont nous souffrons, toutefois notre cas, qui survit à toutes nos alternances, amenant même les bonnes volontés à se soumettre à la logique du tragique, autorise peu d’espoir.

Un homme épris de culture, inlassable lecteur de livres d’Histoire et de biographie d’Hommes célèbres, dont le Général De Gaulle

Nous débattions régulièrement de la politique, de celle du pays, mais souvent nous débordions par des points de vue divergents, parfois convergents, sur telle ou telle gouvernance dans des pays occidentaux ou des ex-empires coloniaux. J’avoue que je me sentais presque ignorant dans l’évocation des faits marquants de toute la période allant des années cinquante aux deux mandats de Chirac. Said Hassane lisait énormément : des ouvrages du général de GAULLE, dont il restituait aisément des citations, également des livres d’histoire sur des périodes marquantes d’autres pays, des biographies de personnalités célèbres, et parfois des romans dont les noms des auteurs et les thèmes développés lui étaient révélés dans la presse ou dans des conversations avec d’autres personnes. Quand on arrivait pour lui rendre visite, il n’avait jamais les mains vides : souvent c’était le Coran, ou tout autre livre qui suscitait son intérêt.

Un état des lieux consubstantiel à l’esprit obtus et au nombrilisme politique des acteurs « face à face », un ami qu’on laisse privé de liberté, malgré des efforts vains pour la lui faire retrouver

Said Hassane ne manifestait aucune virulence dans l’évocation de la gouvernance actuelle du pays. « L’illégitimité, l’illégalité, les fraudes massives ayant caractérisé les différentes élections » afférentes au régime actuel, qui s’élèvent, selon l’Opposition, contre toute approche favorable à l’appel du régime en place pour l’unité nationale, alimentaient parfois, sans acrimonie ni anathème pour un camp ou l’autre, nos échanges. Tous les acteurs en scène ont leurs responsabilités, me semblaient traduire ses réflexions, même si l’on comprenait, qu’en substance,  tout Pouvoir, parce qu’il exerce le pouvoir, et dispose de beaucoup d’atouts, est responsable de l’incapacité à mettre fin à un conflit sociopolitique qui exacerbe les divisions et menace l’unité nationale.

Absent durant les échéances électorales à l’origine de la division actuelle du pays, je n’ai pas vécu le soutien apporté au candidat Azali par Sambi, dont Said Hassane aurait été l’artisan principal. Je dis « aurait été » car je n’ai jamais demandé à l’intéressé de me le confirmer, et lui-même n’en a jamais parlé devant moi, alors que parfois nous échangions sur des faits inhérents au même contexte politico-temporel. Avait-il la même gêne que moi d’introduire une discussion porteuse d’interrogations faisant revivre d’inutiles remords ? Des remords qu’aurait intensifiés la longue détention de son ami pour lequel il se démenait à lui faire retrouver la liberté, tout en plaidant pour un jugement où la défense serait assurée, et à l’issue duquel tout deviendrait clair.

Nous n’avons pas perdu une voix, protectrice, nous avons perdu une conscience

J’ignore si le peuple comorien est réellement conscient de ce qu’il perd dans la disparition de cet homme dont le propos, en privé comme sur la place publique, était chevillé à l’honneur du pays, à la défense de son développement, à la l’éradication des pratiques véreuses et à l’appel incessant à la fin des divisions stériles, responsables de l’état de précarité permanent. Sa capacité à dénoncer avec calme et talent les actes délictueux, l’irresponsabilité des décideurs, sans jamais indexer qui que ce soit, lui a donné le qualificatif de Sage. Sage sans doute, mais non de cette sagesse qui se réfugie dans la perplexité muette, quitte à souffrir intérieurement et non à condamner ce qui doit l’être. Lui rendant visite un jour, dans sa modeste ancienne maison en tôles, Sambi s’exclama ; « je comprends pourquoi tu condamnes inlassablement la corruption.»  

 

Fundi  Ali Mlamali


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